Faire son deuil : sortir de la pression, traverser la vallée et retrouver son propre rythme

Le deuil, ce n’est pas que la mort
On pense souvent que le deuil est réservé à la perte d’un être cher. Mais en réalité, le processus de deuil s’enclenche chaque fois qu’il y a une dissonance profonde entre la réalité et nos attentes. Cela peut être une rupture amoureuse, un licenciement brutal, la fin d’un projet important ou même une perte de repères.
Ce qui déclenche le deuil, ce n’est pas l’objet de la perte en soi, mais l’inacceptabilité de cette perte pour notre système émotionnel et psychique. L’intensité du vécu peut varier, bien sûr. Mais le mécanisme intérieur, lui, reste identique.
Ce que l’on vit n’est pas ce qu’on attendait
Quand on parle de deuil, on imagine souvent un processus balisé, comme un chemin jalonné d’étapes à franchir dans le bon ordre. Mais la réalité est bien plus floue. Le deuil n’est pas une ligne droite. C’est une onde. Un va-et-vient entre douleur et apaisement, entre immobilité et nécessité d’avancer. C’est un écart constant entre ce qu’on vit vraiment et ce que l’on s’attendait à vivre.
On s’attendait à pleurer, mais pas à rire. On pensait être soutenu, et on découvre la maladresse des autres. On voulait une pause, mais tout continue. On croyait que ça irait mieux avec le temps, mais la tristesse revient, sans prévenir. Le deuil bouscule les repères.
Le vrai cœur du deuil : le tiraillement intérieur
Ce qui fait mal, ce n’est pas seulement la perte. C’est la tension permanente entre deux mondes.
D’un côté, ce qui s’est arrêté. De l’autre, ce qui continue.
Et au milieu, un être humain qui ne sait plus très bien comment faire.
Le deuil n’est pas un chagrin uniforme. C’est une lutte intérieure. Ce qu’on ressent encore entre en collision avec ce que la vie exige déjà de nous. Et dans ce conflit intime, la seule bonne réponse est souvent : prendre le temps.
Les cinq étapes… mais dans le désordre
On connaît souvent les cinq étapes du deuil décrites par Elisabeth Kübler-Ross :
Le déni La colère Le marchandage La tristesse L’acceptation
Mais il est dangereux de les considérer comme un escalier à gravir dans l’ordre. En réalité, ces étapes se mélangent, se répètent, se chevauchent.
On peut revenir à la colère alors qu’on croyait avoir accepté. On peut pleurer un jour et se sentir vide le lendemain. Ce n’est pas un dysfonctionnement : c’est le fonctionnement normal du deuil.
Ces étapes sont des états de l’âme, pas des cases à cocher. Elles forment ensemble la vallée de la tristesse, ce creux émotionnel que l’on ne peut contourner. On ne saute pas par-dessus une vallée. On la traverse. Et cela prend du temps.
Trois prises de conscience essentielles
À travers mes accompagnements, j’observe que beaucoup de personnes endeuillées passent par trois prises de conscience clés :
Ce que je vis n’a rien à voir avec ce que je croyais que j’allais vivre Le soutien imaginé, les réactions prévues, les étapes attendues… tout est bousculé. Et c’est déjà une perte supplémentaire. Il n’y a pas de bonne façon de faire son deuil Certains ont besoin de parler, d’autres de se taire. Certains s’effondrent, d’autres tiennent debout sans savoir comment. Il n’y a pas de bonne façon, juste la vôtre. Je dois me recentrer sur moi Car trop souvent, on vit son deuil à travers les attentes des autres. Il devient alors vital de retrouver son propre centre. De réapprendre à s’écouter, à sentir ce dont on a besoin ici et maintenant, pas ce qu’on « devrait » ressentir ou faire.
Le poids des injonctions
Il faudrait avancer. Reprendre le travail. Tourner la page. Être plus fort. Ne pas pleurer devant les enfants. Recommencer à vivre.
Mais toutes ces phrases — même bien intentionnées — sont autant d’obligations qui viennent empêcher le travail de deuil de se faire en profondeur.
En réalité, le deuil n’a pas besoin d’un planning. Il a besoin d’un espace. D’une respiration. D’un droit à l’imprévisible.
Revenir à soi pour traverser
Faire son deuil, ce n’est pas oublier. Ce n’est pas effacer. Ce n’est même pas « aller mieux ».
C’est intégrer ce qui a été vécu dans ce qui reste à vivre.
C’est traverser la vallée, et y trouver parfois des bancs de repos.
C’est revenir à soi, pour mieux réinvestir sa vie, petit à petit.
C’est enfin, parfois, accueillir la paix sans trahir la mémoire.
Mon accompagnement : un espace sans pression
Quand j’accompagne une personne en deuil, je ne propose pas un mode d’emploi. Je propose un espace sécurisé. Un endroit où il n’y a rien à réussir, juste à vivre ce qui est là, sans devoir justifier, ni accélérer, ni faire semblant.
Je crois qu’on n’aide pas les gens à faire leur deuil. On les aide à ne pas rester seuls pendant qu’ils le traversent.
Ce qui aide, ce n’est pas d’avoir les bons mots. C’est d’être là, quand ils cherchent les leurs.
